Peau-cerveau: une relation à double sens…

European Academy Of Dermatology And Venereology Congress 2023

Ständer S. Brain-skin axis: Itch and beyond. EADV 2023 Plenary Lectures A.

L’influence de la peau sur le cerveau ne fait pas de doute. La peau étant l’organe d’un de nos 5 sens, il est évident qu’elle influence notre cerveau et qu’en retour, celui-ci modifie aussi nos sensations cutanées, suivant notre expérience et d’autres facteurs. Jusqu’à présent, on ne connaît néanmoins que quelques aspects de cette double relation…

Pour Sonja Ständer (Munster, Allemagne), cette relation est d’autant moins surprenante que le cerveau et notre peau partagent la même origine ectodermique, et donc des facteurs moléculaires communs. Cela signifie que bien avant notre naissance, les liens étaient ténus entre la peau et le neurodéveloppement. Après la naissance, les liens restent évidents, mais il faut se souvenir que les kératinocytes sont eux-mêmes capables d’exprimer en surface beaucoup de récepteurs que l’on retrouve dans les neurones (1).

Grattage et plaisir
Les démangeaisons constituent un symptôme commun à beaucoup de maladies dermatologiques, mais aussi neurologiques, comme dans le prurit neurogénique, des tumeurs cérébrales ou la sclérose en plaques. Il est intéressant de comprendre les mécanismes qui sous-tendent ces démangeaisons et les conséquences sur le cerveau (Figure 1). En effet, la réponse apportée par notre corps est le grattage. Une étude récente (2) montre que le grattage réduit le nombre de fibres nerveuses dans l’épiderme, mais chaque fibre nerveuse restante possède plus de branches. Au final, le nombre de récepteurs augmente. «De plus, la sensibilité de ces fibres est plus importante. Plus la peau est lichénifiée, plus les sensations de démangeaisons sont importantes.» Le grattage contribue également à l’augmentation de l’expression des récepteurs pruritogènes, ce qui peut conduire à l’apparition d’un prurit chronique. Des expériences menées chez l’humain ont montré également des différences entre le grattage avec démangeaisons et le grattage sans démangeaisons. Après une stimulation, le grattage provoque une réaction au niveau du circuit de récompense cérébral contrairement au grattage qui n’est pas induit par une démangeaison. «Ceci a été démontré grâce à des IRM cérébrales», précise la spécialiste allemande.

Briser le cercle vicieux
L’intérêt de ce type de recherches n’existerait pas s’il n’était pas possible d’influencer le cerveau et le comportement du patient par rapport à sa réaction aux démangeaisons. Car, on l’a compris, les démangeaisons et le grattage mettent en place un cercle vicieux qu’il faut briser si l’on veut réellement aider le patient. Des études ont été menées et ont démontré qu’il était possible d’induire une modulation des molécules pro-inflammatoires comme l’IL-2 en associant dans un premier temps de la ciclosporine à un aliment avec un goût particulier puis, dans un second temps, en donnant un placebo et l’aliment seulement. De la même manière, il est possible d’induire un effet nocebo en activant les neurones miroir: lorsqu’on voit quelqu’un en train de se gratter, on a tendance à l’imiter.

Le stress en plus!
Le grattage et les démangeaisons induisent du stress qui active le circuit hypothalamo-hypophysaire adrénergique, qui induit de l’inflammation au niveau de la peau par exemple.

Pour Vincenzo Papa et ses collègues (3), de nom­breuses pathologies cutanées s’accompagnent de comorbidités psychiatriques. Le stress engendre une surproduction de cortisol, qui est à même d’augmenter les taux d’IL-6 et de TNF-α, ce qui aggrave l’inflammation en cas de psoriasis, par exemple. «N’oublions pas non plus que les kératinocytes sont eux-mêmes capables de produire des hormones de stress», rappelle la spécialiste allemande. «Plusieurs études se sont focalisées sur les perturbations du sommeil, notamment chez les patients souffrant de dermatite atopique, et leurs liens avec l’inflammation et les fonctions neurocognitives.» (4) (voir aussi «Quand la peau perturbe le sommeil» ci-dessous).

Une prise en charge globale
Sonja Ständer a réalisé une étude dans son centre afin de déterminer l’impact des facteurs psychiques chez les patients souffrant de prurit chronique (5). 6.374 patients ont été inclus; 8,8% bénéficiaient d’une consultation psychologique et 77% présentaient des comorbidités psychologiques comme de la dépression ou des troubles dissociatifs. «Seuls 10% de ces patients ont rencontré un psychologue. Nous devons faire mieux, car les patients présentant un trouble mental non pris en charge sont plus difficiles à traiter, souffrent de plus de comorbidités somatiques et ont une moins bonne qualité de vie. La prise en charge est autant pharmacologique, incluant les nouvelles petites molécules, mais aussi au besoin des antidépresseurs, que non pharmacologique. Il est indispensable de porter notre attention sur les attentes des patients et sur leur éducation à la santé», conclut S. Ständer.

1. Jameson C, Boulton KA, Silove N, et al. Ectodermal origins of the skin-brain axis: a novel model for the developing brain, inflammation, and neurodevelopmental conditions. Mol Psychiatry 2023;28:108-17.
2. Agelopoulos K, Renkhold L, Wiegmann H, et al. Transcriptomic, Epigenomic, and Neuroanatomic Signatures Differ in Chronic Prurigo, Atopic Dermatitis, and Brachioradial Pruritus. J Invest Dermatol. 2023;143(2):264-72.e3.
3. Papa V, Li Pomi F, Borgia F, et al. «Mens Sana in Cute Sana» - A State of the Art of Mutual Etiopathogenetic Influence and Relevant Pathophysiological Pathways between Skin and Mental Disorders: An Integrated Approach to Contemporary Psychopathological Scenarios. Cells 2023;12(14):1828.
4. Cameron S, Donnelly A, Broderick C, et al. Mind and skin: Exploring the links between inflammation, sleep disturbance and neurocognitive function in patients with atopic dermatitis. Allergy 2023 Jul 19. doi: 10.1111/all.15818.
5. Schneider G, Grebe A, Bruland P, et al. Chronic pruritus patients with psychiatric and psychosomatic comorbidity are highly burdened: a longitudinal study. J Eur Acad Dermatol Venereol 2019;33(8):e288-e291.