SARS-CoV-2 : que peut-on attendre des vaccins de première génération ?

Selon les Pr Malik Peiris et Gabriel Leung, une première génération de vaccins devrait être approuvée fin 2020 ou début 2021. Dans l’éditorial qu’ils signent dans le Lancet (1) et dont nous reprenons ici l’essentiel, ils mettent en garde contre des attentes trop grandes. Plus qu’une solution «miracle» à la pandémie, ces vaccins s’annoncent comme des outils nous permettant de cohabiter avec le virus.

D’après l’OMS, à peine 1 an après l’apparition du SARS-CoV-2 en Chine, quelque 40 vaccins sont en cours d’évaluation clinique chez l’homme. Ainsi, plusieurs types de vaccins pourraient se côtoyer dès 2021, avec des technologies et des niveaux d’efficacité différents. De nombreuses questions resteront ouvertes, qu’elles soient d’ordre immunologique ou relatives à la distribution ou encore à la sécurité – surtout à long terme – de ces potentiels vaccins qui ont été développés dans des délais jamais rencontrés.

Il existe un risque que les pressions politiques et économiques en faveur de l’introduction rapide d’un vaccin contre le SARS-CoV-2 conduisent à un déploiement à grande échelle d’un vaccin en réalité faiblement efficace, par exemple en raison d’un résultat prometteur trompeur d’un essai insuffisamment puissant. Le déploiement d’un vaccin faiblement efficace pourrait en fait aggraver la pandémie de Covid-19 si les autorités supposent à tort qu’il entraîne une réduction substantielle du risque, ou si les personnes vaccinées croient à tort qu’elles sont immunisées, réduisant ainsi la mise en œuvre ou le respect des autres mesures de contrôle de l’épidémie (2).

Quels sont les degrés de protection contre l’infection et de réduction de la transmission? En supposant un taux de reproduction de 4 et en tenant compte du facteur de dispersion (importance du rôle des superpropagateurs), les auteurs estiment que 25 à 50% de la population devrait être immunisée contre ce coronavirus pour espérer contenir sa propagation. En outre, l’OMS recommande que les vaccins démontrent une réduction d’au moins 50% du risque de contracter la maladie (avec une précision suffisante pour conclure que l’efficacité réelle du vaccin est supérieure à 30%). En pratique, les essais de vaccins Covid évaluent principalement la prévention d’une maladie virologiquement confirmée, pas l’infection ou la transmission.

Les essais de vaccination réalisés sur des primates ont montré une atténuation des symptômes et de la charge virale au niveau des voies aériennes inférieures, mais pas des voies respiratoires supérieures (ce qui pose question en termes de contagiosité). Par ailleurs, des cas de réinfection confirmés (virologiquement) par le SARS-CoV-2 chez des personnes précédemment infectées ont été signalés, mais l’ampleur de cette réinfection n’est pas bien connue et on ignore si la réinfection est associée à une propagation secondaire.

Selon les auteurs, plusieurs arguments plaident en faveur de la protection conférée par les anticorps neutralisants. Cependant, les rôles additionnels de l’immunité mucosale, de la cytotoxicité à médiation cellulaire associée aux anticorps et des lymphocytes T dans l’immunisation naturelle ou passive ne sont pas clairs. On sait que la protection acquise contre les coronavirus responsables du simple rhume disparaît souvent après moins d’un an. Le MERS-CoV, apparenté au SARS-CoV-2, peut réinfecter les dromadaires, qui en sont naturellement porteurs, tandis que la transmission du virus ne semble pas empêchée par une infection antérieure.

Sur la base de ces observations, les auteurs estiment que nous ne pouvons pas supposer que les vaccins contre le SARS-CoV-2, même s’ils se révèlent efficaces pour réduire la gravité de la maladie, réduiront la transmission du virus à un degré comparable. L’espoir que l’immunité de la population induite par le vaccin (immunité de groupe) permettra un retour à la «normalité d’avant Covid-19» pourrait ainsi être basé sur des hypothèses illusoires…

Quels sont les publics cibles? La stratégie de base prévoit de procurer des vaccins aux personnes qui présentent un risque élevé de morbidité sévère ou de mortalité. À ce sujet, on peut se demander si les vaccins efficaces chez les jeunes adultes en bonne santé le seront également chez les groupes vulnérables. Les vaccins antigrippaux sont moins efficaces dans les populations plus âgées que dans les populations plus jeunes, en partie en raison de l’immunosénescence. D’un autre côté, le «péché antigénique originel» des vaccins antigrippaux, qui résulte d’infections séquentielles par des souches antigéniquement proches ou de vaccinations contre celles-ci (lorsqu’ils sont infectés par une nouvelle souche de grippe, les humains produisent des anticorps contre les anciennes souches virales au détriment des réponses aux nouveaux déterminants antigéniques qui sont protecteurs), ne concerne pas les coronavirus (3). Malheureusement, pour diverses raisons, les adultes âgés sont vraisemblablement exclus de la totalité des essais de vaccins (4).

À ce premier critère, l’Académie nationale de médecine des États-Unis y ajoute le risque personnel d’être infecté et l’impact sociétal négatif qu’aurait l’infection. Vu sous cet angle, les professionnels de la santé et les enseignants, notamment, feraient partie des groupes prioritaires. L’égalité de traitement, l’atténuation des inégalités en matière de santé, l’équité et la transparence sont d’autres critères fondamentaux. Par ailleurs, les décideurs devront se méfier de l’impact potentiel du vaccino-scepticisme. Le risque est que la confiance de la population puisse être davantage ébranlée par des erreurs possibles, comme des approbations trop hâtives.

Le SARS-CoV-2 touche le monde entier et une liberté de voyager accordée prématurément pourrait entraîner une nouvelle propagation de l’infection si la vaccination est appliquée de manière inégale selon les pays. Aucun pays ne sera vraiment sûr tant que le monde entier ne sera pas vacciné.

Cet article, qui n’est rien d’autre qu’une mise en garde contre des attentes exagérées, ne doit pas pour autant nous faire douter de l’utilité des vaccins à venir. Fondamentalement, si les vaccins contre le SARS-CoV-2 sont efficaces pour réduire la morbidité et la mortalité dans les groupes à haut risque, ils auraient un rôle important, indépendamment de l’impact sur la transmission et l’immunité de la population. Et si les populations à haut risque peuvent être protégées par la vaccination, les mesures de contrôle du Covid pourraient être recalibrées, pour le plus grand bénéfice de nos libertés.

Lire aussi : 11 candidats vaccins en dernière phase d'essais sur l'homme

  • Références

    1. Peiris M, Leung GM. Lancet 2020. DOI:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31976-0.
    2. Krause P, et al. The Lancet 2020. DOI:https://doi.org/10.1016/ S01406736(20)318213.
    3. Kim JH, et al. J Immunol 2009;183:3294-301.
    4. Helfand BKI, et al. JAMA Intern Med 2020;180:1546-9.

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.